LE RELICAGE*
* ce terme n’est pas apparu encore dans le dictionnaire, mais on s’en accommodera sans l’avis des vieux clowns en vert qui siègent à l’académie française.
Depuis maintenant quelques années, le relicage des guitares électriques est à la mode. Deux relicages distincts sont à distinguer : le premier consiste à vieillir plus ou moins un modèle neuf pour lui donner l’apparence d’un instrument déjà utilisé.
Le deuxième suit le même processus, mais concerne un instrument à qui on donne l’apparence d’un instrument de musicien célèbre. En plus du vieillissement artificiel s’ajoute donc un travail de copie.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la première idée ne vient pas uniquement d’une jeune clientèle voulant se prévaloir d’une expérience usurpée. Si l’on en croît certains responsables de Fender qui s’adonne volontiers au relicage, c’est même Keith Richard qui suggéra qu’on donne quelques coups sur les instruments avant de les lui livrer.
Il y a déjà bien longtemps que les jeans se vendent délavés pour éviter d’avoir un porter un pantalon semblant sortir du carton d’emballage. Et qu’on salit intentionnellement des baskets neuves pour ne pas qu’elles jurent avec le reste de l’habillement. Ici, le principe est le même. On peut donc y voir une façon de jouer faussement le vieux bourlingueur autant qu’une simple question de goût personnel.
En ce qui concerne les répliques de guitares célèbres, je suis pour le moins réservé! Posséder LA VRAIE guitare de telle ou telle star constitue un acte de fétichisme finalement assez répandu. Qui n’a jamais gardé un souvenir d’un parent, d’un ami, d’un amant ? Après tout, c’est ici la même chose : il s’agit de posséder un objet qui fasse le lien entre une personne chère et nous-mêmes. Comme les urnes funéraires. Ben oui.
Maintenant, imaginons que vous ayez chez vous une urne funéraire de votre grand-mère mais que ce ne soit qu’une copie de l’originale, cendres comprises ? Voilà pourtant exactement ce que proposent les plus grandes marques d’aujourd’hui, à des prix qui outrefrisent* le ridicule.
* du verbe « outrefriser » bien sur.
L’entreprise, de plus, est quasiment impossible. Car s’il est relativement facile de transformer un instrument neuf en instrument usagé, reproduire une usure particulière à l’identique est une toute autre affaire. Pour l’exemple, regardons la Stratocaster ayant appartenue à Rory Gallagher et sa version du Custom Shop de Fender.
Cette guitare est connue pour être une des plus usée de l’histoire du rock’n roll et du blues, deux genres propres à Gallagher. En comparant l’original et la copie, on s’aperçoit, certes, que les trois zones principales où le vernis d’origine apparaît encore sont respectées, mais les formes de la copie en sont bien plus grossières. Alors que l’usure a laissé des taches déchiquetées en une sorte de dentelle, les contours de la copie sont beaucoup plus schématiques. Le bois brut, quant à lui (abstraction faite des nuances de couleur, pouvant être attribuées à la colorimétrie des clichés) montre évidemment des veinages complètement différents. Cette matière première, rustique sur le modèle d’origine, a un aspect patiné artificiel sur la copie. On s’attardera sur le détail de bois éclairci sur le haut du pickguard, à droite, dans un creux de ce pickguard. Là aussi, à l’évidence, alors qu’on soupçonne un ponçage mécanique sur la copie, l’effet d’usure est beaucoup plus complexe sur l’original.
Quant à cette photo d’une une de magazine montrant la vraie guitare en gros plan, elle montre la quasi impossibilité de reproduire les effets de matière et de coloration sophistiqués que les ans ont laissé sur l’instrument.
Nous venons certes, d’analyser les différences d’un vieillissement artificiel et naturel sur un instrument particulièrement difficile à reproduire, mais pour chaque copie de guitare de ce type, les écueils restent les mêmes. En un mot : une copie reste une copie.
Un autre point essentiel doit être souligné : la plupart de ces modèles de stars( la totalité, certainement !) sont des guitares de série que ces musiciens célèbres ont achetées chez le fabricant et ne doivent leur particularité qu’à leur propriétaire ! Qui achèterait une Renault Clio dix fois plus cher qu’une neuve, sous le prétexte qu’elle est la réplique de la voiture de Sharon Stone? (si si.. elle roule en Clio. Pour aller de sa salle de bain à son salon.)
Et pour enfoncer le clou définitivement, comme le dit mon ami Jean-Pierre : « c’est le musicien qui fait le son, et pas l’instrument » ! Or, ici, le concept marketing d’identification est poussé à son paroxysme. On peut se gausser de nous autres qui achetons une Telecaster parce que Joe Strummer jouait sur cet instrument, mais jouer sur une copie de la Telecaster du feu guitariste des Clash est plus gaussable* encore. Dans le premier cas, le mouton a au moins l’excuse de penser que la Telecaster est certainement un bon choix parce qu’un grand musicien l’a choisite. Dans le deuxième, le mouton s’imagine-t-il pouvoir jouer comme Strummer parce qu’il possède une copie de la « Strummocaster »? Le marketing nous prend vraiment pour des cons !
* gaussable. De se gausser. Je vous emmerde.
Je n’ai sans doute pas fait le tour complet de la vacuité du procédé, mais nous arrêterons là, faute de place. J’aurais certes, aimé lister les prix astronomiques de ce type de produits attrape gogo plein de sous, mais vous pourrez vous-même aller faire un tour sur Internet. Je vous conseille notamment de bien lire le prix des dernières Gibson Jimmy Page signature du Custom Shop, vendues en coffret, avec un archet et une signature et certificat d’authenticité du guitariste de Led Zeppelin. Gibson aurait tord de se gêner : y’en a qui achètent.
Revenons donc, si vous le voulez bien, au simple phénomène de relicage sur lequel j’ai semblé faire la fine bouche au début de cet articulet. Je dois pourtant avouer que j’ai moi-même acheté certains modèles relevant de ce procédé.
Je passerai rapidement sur la Les Paul Jimmy Page signature faisant partie de ma collection non pas en tant que copie de guitare, mais plutôt pour son électronique particulière. La Gretsch Pink Penguin a été achetée pour sa couleur rose et ses micros TV Jones, et non pas pour son relicage dû à un certain Stephan Stern, certes assez réussi et discret mais pas indispensable à mon goût. Ce modèle Pink Penguin, qui plus est, n’est disponible qu’en version reliquée. Quant à ma Gibson Gold Top, j’ignorais même qu’elle fut reliquée, le custom shop s’étant contenté de cracher un coup sur les micros, d’après ce que mon analyse visuelle en conclue. En revanche, ce jour là, le magasin ayant un modèle « standard » et ce modèle, c’est après avoir eu en main les deux versions que j’ai choisi le custom shop, pour le son, mais aussi pour l’impression laissée par les deux constructions. On aura l’occasion, un de ces quatre, de parler de la subjectivité du choix de l’acheteur de guitare, et de ces fameuses « impressions »! Je ne manquerai pas d’ironiser sur mon propre sort, c’est promis.
Cet article étant déjà bien long pour pas grand chose (mais ceci est l’essence même de ce blog !), je remets à plus tard un addendum où je vous raconterai (essentiellement en photo) comment j’ai.. reliqué moi-même ma Gibson Les Paul R8 !!! Comme quoi, c’était bien la peine de faire la chochotte pour finalement faire comme tout le monde !
Bon appétit.
Ca serait drôlement bath si tu faisais un article sur la cup, aussi.