VINTAGE OU PAS VINTAGE ?
Mon ami Jean-Pierre, celui-là même qui rappelle que c’est d’abord le musicien qui fait le son d’un instrument de musique, me demandait l’autre jour ce que valaient réellement ces fameuses guitares vintage dont on parle beaucoup depuis maintenant quelques bonnes décennies.
A travers cette question, il se demandait surtout si le prix dépensé pour certains vieux bouts de bois devenus saints graals par la seule force du temps, était vraiment justifié.
Une seule réponse à une question d’ordre aussi général ne peut se résumer par l’affirmative ou la négative. Car il existe deux sortes d’amateurs de vintage dont on va résumer la définition.
Vintage ?
Ce terme qu’on utilise dans plusieurs domaines autres que la guitare, marque aujourd’hui un espace plus ou moins flou entre le contemporain et l’antiquité.
Dans le domaine acoustique où les canons de la guitare classique ont été définis dès la fin du 19ème siècle, et ceux de la guitare dite « folk », au début du 20ème, une Gibson ou une Martin de ces époques relèvent dont autant du marché vintage que de l’antiquité. On utilisera cependant plus volontiers le terme « d’antiquité » à un instrument destiné à ne plus être joué, et le terme « vintage » pour une guitare encore exploitable.
Concernant la guitare électrique, la dénomination vintage s’adresse aux premiers modèles datant des années 40 mais surtout aux modèles de l’âge d’or de la guitare qui se situe entre 1950 et 1960. Cette période de la guitare électrique vintage est néanmoins de plus en plus étendue vers les années 70 et 80, voire 90.
Certains considèrent, en effet qu’une guitare est vintage si sa construction s’est arrêtée il y a 20 ou 30 ans. Dans ce cas, c’est l’indisponibilité, et par extension, la rareté, qui confère à l’instrument son cachet vintage.
Chacun y piochera donc la définition qu’il veut selon son époque choisie..
Les amateurs du vintage ( nous parlons ici de guitares, mais beaucoup d’autres instruments suivent les mêmes règles décrites ci-dessous)
Les collectionneurs d’une part, et les musiciens d’autre part, constituent la clientèle de la guitare vintage. Si les premiers font souvent partie également de la deuxième catégorie et inversement, la valeur d’une guitare vintage n’est pas évaluée de la même façon selon qu’elle est destinée à la collection ou au musicien.
Le collectionneur
Le collectionneur a pour but de posséder une guitare d’une autre époque en tant que représentation fidèle de cette époque. Plus la guitare est conservée dans son état d’origine, et plus elle a de la valeur. Pour cette raison, une guitare qui a perdu une bonne partie de son vernis originel et dont les capots de micros portent quelques chocs a plus de valeur qu’une guitare de la même époque, mais dont le vernis a été refait quelques années plus tard et qui porte des capots de micros de remplacement. L’expression « dans son jus », utilisé depuis longtemps dans le domaine des antiquités, exprime ce besoin d’authenticité du collectionneur. A ce titre, TOUS les objets usuels ou non de la vie courante sont des objets de collection potentiels, étant amenés, avec le temps, à se raréfier. Il n’en reste pas moins que certains valent très cher en peu de temps alors que d’autres devront attendre un siècle parfois pour que les collectionneurs jettent enfin un œil intéressé sur leur cas ! Si la raréfaction est un facteur qui fait souvent monter la cote, d’autres facteurs plus subjectifs entrent en ligne de compte ( mode passagère, lien affectif etc.).
Le musicien amateur de vintage
Le guitariste qui recherche avant tout un bon instrument, devrait logiquement être beaucoup moins concerné par le marché du vintage. Après tout, il existe aujourd’hui pléthore d’instruments disponibles sur le marché du neuf.
Pourtant, bon nombre d’instruments sont devenus mythiques et certains ne jurent qu’avec les modèles d’époque. Qu’importe que la Fender Telecaster ,la Stratocaster ou la Les Paul, la Gretsch 6120 ou toute autre Rickenbacker 4001 soient toujours au catalogue des firmes, certains sont persuadés qu’on ne fabrique plus les guitares comme avant. Ils ont raison d’ailleurs, puisqu’en 70 ans, les modèles les plus anciens ne sont en effet plus fabriqués avec le même outillage, et c’est parfois le matériau de base qui n’est plus disponible. Néanmoins, soyons honnête, le musicien, s’il est raisonnable et de bonne foi, peut largement faire l’impasse sur certains secteurs, contrairement au collectionneur. Il en est ainsi des pickguards, des tuners ou des potentiomètres, pour citer quelques éléments constitutifs d’une guitare vintage n’ayant aucune incidence sur le son ( même si vous trouverez toujours des chichiteux prêts à jurer le contraire !).
En revanche, les bois utilisés et l’électronique de l’époque antédiluvienne jouent un rôle bien plus important dans le son d’une guitare vintage de bonne facture. Mais ne nous y trompons pas : le marché du vintage étant à la mode, bon nombre de fabricants sortent aujourd’hui des modèles qui suivent au plus près les cahiers des charges qui étaient d’actualité il y a plus d’un demi siècle. Il est donc important de dire que toute cette affaire de « son vintage » concerne les musiciens à l’ouïe suffisamment fine pour le débusquer. Pour le reste, il y a une grande part de snobisme qui embrume l’affaire.
Le snobisme, c’est aussi ce qui pousse certains musiciens à jouer sur du matériel vintage. Snobisme ou romantisme, car s’il est tentant pour les frimeurs de s’afficher avec un vieux modèle vénéré, le choix est parfois généré par la nostalgie d’une guitare ayant fait les beaux jours du rock’n’roll ( ou du jazz ou de ce qu’on veut !).
En bref, le musicien amateur de vintage est mû par le besoin de retrouver le son d’autrefois, par l’envie de jouer sur un instrument chargé d’histoire, ou pour les deux raisons.
La notion d’ergonomie de l’instrument, en revanche, n’est guère mise en avant par les guitaristes amateurs du vintage. En l’occurrence, il est vrai, les instruments actuels offrent tous une large gamme de profils de manches, de radius et de dispositions de boutons de contrôle qui suffisent en général à couvrir les préférences de chacun. Que toutes ses données soient réunies sur le même modèle réduit un peu les possibilités de trouver son bonheur, mais même avec cette restriction, l’offre pléthorique du marché répond à peu près à toutes les attentes.
Conclusions
C’est avant tout le collectionneur qui agit sur la cote, plus que le musicien. En effet, remplacer une pièce, si petite et insignifiante soit elle (une vis supportant un pickguard, par exemple) par une pièce qui n’est pas exactement la même, éloigne l’instrument de sa vocation première de pièce de collection qui est avant tout de traverser les années sans modifications. Le musicien, en revanche, se fiche d’avoir une vis à tête cruciforme au lieu d’une vis à tête plate.
Les prix, parfois hallucinants, de certaines guitares de collection, suivent les règles d’un ratio offre/demande « naturel », ou artificiel, mis en place par des spéculateurs.
Quant au « son vintage », il convient à ceux qui jouent de la musique vintage et à d’autres qui veulent ce son particulier, mais n’est pas meilleur ou moins bon qu’un son plus moderne. Définir ce fameux son de la guitare électrique vintage reste très personnel, discutable et sujet à caution de par la difficulté même de définir un concept aussi abstrait avec des mots. Je ne suis pas Beaudelaire, qu’on m’en excuse ! Il y a bon nombre de revues spécialisées ainsi que d’autres forums sur Internet qui dissertent longuement de la question pour que vous jugiez vous-même de la pertinence des adjectifs employés en la matière.
L’avant dernier mot reste donc encore à mon ami Jean-Pierre, puisque vintage ou pas, c’est encore et toujours le musicien qui donne la vraie valeur à l’instrument !
Le dernier mot, quant à lui, revient au Figaro.fr, qui livre cet excellent article sur Internet :
Les violonistes incapables de reconnaître un Stradivarius
À l’aveugle, des musiciens sont incapables de distinguer les violons anciens d »instruments actuels.
Depuis des décennies, musiciens et scientifiques tentent de découvrir le «secret» des stradivarius. Pourquoi ces violons sont-ils toujours aussi magiques, trois cents ans après leur fabrication ? Tout a été étudié: géométrie des instruments, techniques d’assemblage, nature du bois, composition des vernis et même effets climatiques du petit âge de glace sur la croissance des arbres. Mais le mystère reste entier.
Grâce à une étude menée par Claudia Fritz, spécialiste en acoustique à l’université de Paris-VI, il semble que le secret des stradivarius se cacherait… dans la tête des musiciens qui les jouent ! «On s’est beaucoup penché sur les violons, mais jamais sur la perception de ceux qui en jouent», explique la jeune chercheuse du CNRS, qui a commencé ses travaux sur l’acoustique des violons lors d’un séjour à l’université de Cambridge.
Un panel de musiciens compétents
Avec l’aide de Joseph Curtin, luthier américain renommé, Claudia Fritz a voulu vérifier si des violonistes de haut niveau seraient capables de faire la différence entre trois vieux violons italiens et trois instruments de très bonne qualité réalisés par des luthiers d’aujourd’hui. Ils ont profité de la compétition internationale de violon qui s’est tenue en septembre 2010 à Indianapolis pour réunir un panel de musiciens de qualité et trois instruments d »exception dont la valeur totale est de 10 millions de dollars.
Le nom exact des instruments testés a été gardé secret «pour ne pas affecter la valeur marchande des instruments anciens», précise Claudia Fritz. On sait seulement qu’il y avait deux violons d’Antonio Stradivari, l’un datant environ de 1700 et l »autre de 1715, ainsi qu’un instrument fabriqué vers 1740 par Guarneri del Gesu, autre luthier mythique de l’école de Crémone. Le plus vieux stradivarius a été l’instrument principal d’un violoniste renommé du XXe siècle et le deuxième date de l’«âge d »or» du grand luthier italien.
Une goutte de parfum
Les trois violons modernes, âgés de «quelques semaines à quelques années», ont été choisis par Joseph Curtin et leur valeur totale est 100 fois moindre que celles des trois anciens. Les auteurs de l’étude, publiée début janvier dans les Comptes rendus de l’académie américaine des sciences, ont fait essayer à l »aveugle ces six instruments à 21 musiciens de haut niveau. Parmi les «cobayes», certains sont violonistes dans l’Orchestre symphonique d’Indianapolis, quatre autres sont des jeunes prodiges en lice pour le concours (deux en sont sortis lauréats), avec pour finir deux membres du jury qui possèdent l’un un stradivarius et l’autre un Guarneri.
Les tests ont été réalisés dans une chambre d’hôtel, dont l’«acoustique sèche» est proche des salles où les musiciens font leurs premiers tests chez un luthier, explique la chercheuse française. La lumière était éteinte, les musiciens portaient des lunettes de soudeurs et une goutte de parfum a été versée sur le coussin de chaque violon pour éviter qu’ils ne soient identifiés à l »odeur. On a ensuite demandé aux musiciens de tester les instruments et de noter leurs caractéristiques: la projection du son (capacité d »être entendu même à grande distance), la réponse aux impulsions, la jouabilité et la palette sonore.
La perception de plaisir proportionnelle au prix affiché
Dans ces conditions, le violon préféré est un instrument récent, et le moins apprécié est le plus vieux stradivarius. Dans la plupart des cas, les violonistes ont été incapables de dire lequel des instruments testés était l’ancien. «Ces résultats ne nous ont pas du tout surpris», affirme Claudia Fritz.
Comme début d’explication, la scientifique cite une expérience récente réalisée lors de test de vin à l’aveugle, dans laquelle on a remarqué que «la perception de plaisir» mesuré par IRM était directement proportionnelle au prix affiché du vin, un prix pourtant fantaisiste.
Le jour où quelqu’un aura l’idée de faire le même test avec les guitares électriques et les amplis, on risque fort de bien rire aussi..