LES DIFFERENTS SYNTHES NUMERIQUES
La technique du numérique a donné naissance à une multitude de machines bien différentes, du fait de leur système d’exploitation extrêmement souple. La norme MIDI, dont j’explique le principe dans un autre article du blog, a contribué tout autant à ouvrir de nouveaux horizons au synthé . ( les machines analogiques profitaient déjà de connexions de type CV (pour Control Voltage) qui offraient une interaction parfois comparable à celle du MIDI, mais nous ne parlons ici que des synthés numériques)*.
Les premiers synthés analogiques étaient très proches des orgues électroniques dans l’essence du son, puisqu’ils utilisaient des oscillateurs. La différence fondamentale résidait dans le fait que les ondes des oscillateurs pouvaient ensuite être traitées en profondeur par l’utilisateur. Vint ensuite le séquenceur analogique, branché au synthé, qui permettait de faire tourner une séquence de 8, 16 notes et rarement plus. Puis les boîtes à rythmes analogiques qui étaient des séquenceurs dédiés aux sons percussifs, ce qui permettait de lier son de synthé et séquence en même temps dans la même machine.
On pourrait croire que les Japonais sont les inventeurs du synthé numérique vu le quasi monopole de marque comme Yamaha, Roland ou Korg sur le marché actuel. Les Américains, néanmoins, rois du synthé analogique dans les années 60, 70, ont très bien compris que le numérique était l’inéluctable phase qui allait suivre et en ont parfaitement mesuré les avantages techniques et économiques. Emu fut même un des pionniers en la matière, qui mit sur le marché un sampler accessible à (presque) toutes les bourses. Ce ne fut donc pas l’imagination ou la qualité technique des sociétés américaines qui fut faillible, mais plus prosaïquement leurs stratégies commerciales.
On se doit d’ailleurs d’inclure dans ce processus de production industriel défaillant, l’incapacité des banquiers américains à mesurer le potentiel de ce type d’instrument de musique particulier qui, en passant au numérique, sautait du statut d’instrument de musique professionnel à celui de machine tout public.
En quelques années, donc, les pionniers Américains furent engloutis par la vague numérique nippone, faute d’une stratégie économique adaptée.

L »Emulator de Emu, sort en 1981. Il est encore assez cher, mais bien moins que les Fairlight et autres Synclaviers destinés aux studios ou aux musiciens richissimes.
Les premiers synthés numériques se contentèrent de reprendre la structure du synthé analogique en y remplaçant les oscillateurs, filtre et autres modules de synthèse par des composants numériques. Si le musicien y trouva déjà un net avantage financier, le futur s’en trouvait surtout beaucoup plus ouvert, les machines numériques étant amenées à communiquer entre elles grâce à la chaine informatique déjà bien implantée. A partir de là, le synthétiseur va pouvoir se décliner en variations si multiples qu’aujourd’hui, le débutant peut être dérouté.
Faisons donc un petit tour dans cette grande famille du synthé numérique, en y incluant ses compagnons de route habituels.
1 : le synthé.. synthé
Dans cette catégorie, l’architecture interne du synthé permet de faire de la synthèse de son, d’où le nom ! Ce type de machine numérique se différencie du synthé analogique par sa carte mère qui remplace l’ancien fatras de composants électroniques. Cela lui permet d’être compatible avec d’autres machines numériques, par MIDI, notamment, et d’autres connexions informatiques.

Le Yamaha DX7 est la première grosse pierre numérique dans le jardin des constructeurs et les acheteurs se bousculent au portillon. Certains, néanmoins, seront un peu échaudés par la programmation des sons, assez ardue. En revanche, la sonorité du DX7 a toujours été louée par ceux qui se donnaient la peine de feuilleter le mode d’emploi.
2 : le séquenceur
Ce n’est pas un synthé, mais un programmateur. Il était déjà le premier compagnon des synthés analogiques et est devenu logiquement celui des machines numériques. Son utilisation est la même : faire tourner des séquences de sons émis par un synthé avec lequel il est connecté.

Du haut en bas, et de gauche à droite: le séquenceur analogique ARP, un modèle numérique de chez Yamaha et enfin, le logiciel Cubase, installé ici dans un ordinateur portable.
3 : le synthé multitimbral
Plusieurs types de synthés sont multitimbraux, mais je parle ici spécifiquement des synthés proposant des sons très différents. Au temps de l’analogique, il existait déjà des synthés proposant des sons de violons, de cuivres et de divers claviers sur un même instrument. Les différences importantes entre ces anciens synthés et ceux d’aujourd’hui sont de deux ordres. D’une part, les sons analogiques provenaient de programmation interne des oscillateurs qui, sur le plan sonore, donnaient des résultats très éloignés des instruments acoustiques. D’autre part, la connexion avec des séquenceurs de l’époque ne permettait pas de compositions multitimbrales, les seules combinaisons offertes étant éventuellement un split de clavier.
Les synthés multitimbraux d’aujourd’hui émulent des instruments acoustiques à partir d’enregistrements numériques de ces vrais instruments. La difficulté, après, réside dans les capacités de mémoire morte de la machine qui doit emmagasiner une quantité conséquente d’instruments. Pour se faire, les ingénieurs ont recours à des méthodes de traitements informatiques diverses qui compressent les données. Pour cette raison, les synthés qui sont spécialisés dans l’émulation d’instruments de musique sont d’autant plus chers qu’ils ont une ROM conséquente, et que le traitement des sons originaux est soigné.
Le choix d’un synthé de ce type prend tout son sens avec un séquenceur qui permettra de faire jouer simultanément plusieurs timbres différents au synthé. Un musicien pourra ainsi, enregistrer une pré maquette d’orchestration plus ou moins élaborée et la faire rejouer ensuite par de vrais musiciens s’il est professionnel. Si c’est un amateur, il pourra composer, seul, à la maison et se contenter du résultat final qui, selon la qualité des imitations plus ou moins réussies de son synthé, peut parfois donner d’excellents résultats.
Il faut préciser, néanmoins, que beaucoup de ces synthés n’usurpent pas totalement leur nom dans la mesure où des options de synthèse sonore restent toujours disponibles. Si le matériau de base n’est pas un oscillateur, mais un timbre déjà élaboré, l’utilisateur peut travailler sur l’enveloppe du son et filtrer à sa guise. Les possibilités dépendent bien sûr de la machine, qui dans cette catégorie, privilégie de toute façon l’abondance de sons disponibles à la synthèse sonore.
4 : le synthé arrangeur
C’est un synthé multitimbral identique au modèle dont nous venons de parler, mais nanti de possibilités d’autonomie plus grande. Les premiers synthés arrangeurs sont déjà très anciens, puisqu’on peut considérer que les modestes orgues Bontempi des années 70 offraient déjà, dans l’esprit, les mêmes commodités. Les arrangeurs d’aujourd’hui se sont considérablement améliorés dans la qualité des sons, mais ils proposent les aides d’accompagnement et des capacités de séquences qu’on trouvait déjà à l’époque.
L’arrangeur convient, entre autres, aux musiciens qui accompagnent seuls un chanteur. Ils ont ainsi, à portée de main, outre une palette de sons confortable, la capacité de faire jouer des accompagnements de rythmique automatiques, un séquenceur dédié et tous les contrôles à portée de main, sans l’apport d’un ordinateur. Si une grande partie du marché propose des arrangeurs bas et moyenne gamme, disposant de haut-parleurs intégrés, il existe aussi des modèles hauts de gamme . Alors dépourvus de haut-parleurs, ils ne se distinguent guère des synthés multi timbraux dont nous avons parlé avant. Le Yamaha Motif, ( photo précédente), par exemple, mérite amplement l’appellation arrangeur du fait de son séquenceur interne et de ses aides à la composition.
5 : l’expandeur
C’est un synthé sans clavier. Son existence a été rendue possible grâce au MIDI (voir article sur le MIDI) qui lui permet en effet de répondre aux sollicitations de claviers externes qui lui sont reliés via MIDI. Le synthé sous forme d’expandeur peut donc être de tout type et on trouve assez souvent des versions avec ou sans clavier d’un même modèle.

La première version du Waldorf Microwave offrait un vrai filtre analogique alors que la version XT qui suivit était complètement numérique (moins bien!) . Une variante luxueuse et hors de prix, le Waldorf Wave, est sortie quelques années après le Microwave première génération. C’était une machine impressionnante, introuvable aujourd’hui, et à un prix dissuasif.
6 : le clavier maître
Le clavier maître est un contrôleur et non pas un synthé. Il est obligatoirement MIDI puisqu’il ne fonctionne qu’avec des modules de sons, que ce soit des expandeurs ou même d’autres claviers ( qui deviennent alors « esclaves »). Les petits claviers maîtres qui peuvent ne couvrir que deux octaves sont adaptés à la composition nomade et au home studio. Le toucher n’est pas ici le souci principal, mais l’ergonomie et le gain de place. En bout de chaine, en revanche, les claviers maîtres professionnels offrent jusqu’à 88 touches et un toucher lourd imitant celui d’un piano acoustique. En plus de ces capacités permettant une plus ou moins grande expressivité, les claviers maîtres sont dotés d’un certain nombre de réglages de contrôle plus ou moins sophistiqués agissant sur les divers modules de sons qui y sont rattachés via MIDI.

Un beau clavier maître Arturia. Cette société Française qui s’est rendue célèbre grâce à son offre musicale logicielle de qualité, fabrique également du hardware de haut vol. Sa dernière bombe, le synthé Minibrute, ressemble à une bombinette, mais c’est loin d’être le cas!!
7 : les contrôleurs divers
Si le clavier maître est le contrôleur le plus évident, d’autres appareils peuvent jouer le même rôle. Ainsi, les pads en caoutchouc et en peaux maillées des batteries électroniques sont ils des contrôleurs qui transmettent la frappe du batteur à un module de son dédié. Pareil pour les contrôleurs à vent ou les capteurs digitaux qu’ont peut trouver sur certaines guitares. Dans tous les cas, les contrôleurs envoient des informations MIDI aux modules de sons auxquels ils sont reliés. Au même titre que le clavier d’un synthé MIDI peut faire jouer tous les sons de ce synthé, les contrôleurs dédiés à la technique d’autres instrumentistes permettent d’avoir accès à des banques de sons externes, cette fois.
Attention donc à ne pas oublier qu’un contrôleur ne fait que contrôler et qu’il doit toujours être accompagné d’un module de son (expandeur ou synthé)
8: le sampler (ou échantilloneur)
La fonction première du sampler est d’enregistrer numériquement du son. La longueur de l’enregistrement est fonction de la mémoire interne de l’appareil qui, pendant longtemps, ne disposait pas de ROM. Il existe aujourd’hui des versions hybrides synthé/sampler qui offrent des sons disponibles dans la machine, mais la capacité du sampler à enregistrer demeure sa principale caractéristique. L’enregistrement une fois réalisé devient le matériau de base de la synthèse de son qui reste une affaire de programmation. On peut assigner l’échantillon sonore sur les touches d’un clavier, on peut filtrer, mélanger plusieurs échantillons, les couper, les coller, changer les tonalités, etc.

Pendant longtemps, les samplers Akaï ont régné sur le monde du sampling en home studio. Aujourd’hui, l’offre est moins généreuse et plus volontiers tournée vers la musique DJ.
9 : les boîtes à rythmes
Contrairement aux batteries électroniques, les BAR ne sont pas spécifiquement adaptés aux batteurs et si certaines offrent des pads de percussion, ils sont de taille symbolique et offrent une ergonomie médiocre par rapport aux instruments des percussionnistes. Mais il est vrai qu’elles ne se vantent de rien d’autre, eu égard à leur dénomination. Les premières boîtes à rythmes étaient analogiques et leurs générateurs de bruit blanc n’avaient pas grand chose à voir avec les instruments de percussions acoustiques. Par la suite, Roger Linn a fabriqué une BAR numérique avec des vrais sons de batterie acoustique samplés. Ce type de BAR, toutefois, n’a pas connu un succès de longue durée, les synthés numériques offrant eux mêmes des kits de batteries samplées dans leurs banques de son.
On continue néanmoins à construire et à vendre des BAR numériques avec des sons samplés, mais aussi et surtout des BAR numériques émulant le son pourri mais si sympathique des vieilles boîtes dont le son est devenu aujourd’hui une référence.

Cette petite merde valant trois francs dans les années 70, s’est imposée bien plus tard dans le monde du rap, du trip Hop et de la musique industrielle . Sa consoeur « bassiste », la TB 303 est même devenue une star! Comme quoi.. les merdes, faut aussi les garder!!
11 : les synthés « spécialisés »
Certains synthés sont restreints à un seul instrument, comme les pianos numériques qui remplacent les Steinway à queue des salons bourgeois! D’autres émulent des sons d’orgue Hammond etc. Bien que figurant parfois dans la rubrique synthétiseur de certains sites Internet, ces synthés n’en sont pas puisqu’ils ne permettent pas de faire de la synthèse de son. Certaines boîtes à rythme basiques et synthés vendus comme tels ne font parfois pas beaucoup plus, mais le but de cet article étant de vous retrouver dans le méli mélo des synthés numériques, il n’était pas inutile de mentionner ce type de claviers « spécialisés ».

Le Roland VR-09 est spécialisé dans les sons d’orgues. Il propose des émulations de divers combos populaires des années 60, mais surtout le saint Graal des orgues: le Hammond B3 et ses multiples variantes.
12 : les software
Avantage ultime du numérique: il permet d’engranger en une carte mère, toutes les capacités techniques d’instruments électroniques de jadis !
Il est possible en effet d’incorporer des cartes dans un ordinateur pour que celui-ci devienne un synthé. Mais pas que !
A tout seigneur tout honneur : le séquenceur numérique enfonce son ancêtre analogique jusqu’aux tréfonds de l’âge de pierre. Bien que les adeptes du séquenceur de Néanderthal réapparaissent depuis quelques années, arguant du fait que le séquenceur analogique est plus musical, son petit frère numérique a largement dépassé le temps de la séquence puisqu’il est plus judicieux de l’appeler enregistreur. D’abord MIDI uniquement, puis MIDI et audio à la fois. En réalité, les deux types de séquenceurs ont des rôles très différents: les analogiques servent à faire tourner de courtes phrases répétitives en offrant néanmoins des possibilités instantanées de variations plus ou moins élaborées. Les séquenceurs numériques, quant à eux, sont avant tout des logiciels qui transforment l’ordinateur en magnétophone multipistes.
Les synthés dédiés à la synthèse de son, multitimbraux ou pas, ainsi que les machines spécialisées en émulation d’instrument spécifique (piano, orgues, cuivres, BAR etc.), bénéficient eux aussi de versions logicielles, beaucoup moins onéreuses que des instruments numériques « hardware » .
N’oublions pas non plus les samplers dans cette version économique, qui offrent le gros avantage d’offrir votre écran d’ordi pour visionner vos phases de programmation.
Au final, le choix entre une machine numérique et une version logicielle peu ou prou équivalente dépend autant des qualités des produits que de la façon de les aborder. Les instruments software étant en effet dépendants de l’ordinateur qui les reçoit, ce dernier devient l’élément central. Autre limitation de la solution software : le contrôle du synthé se fait à la souris ou aux raccourcis clavier et il est préférable parfois d’adjoindre un contrôleur agissant sur le logiciel. Ce qui implique une nouvelle implantation de ce contrôleur dans la chaine informatique de l’ordinateur. Le gros bémol de la formule logicielle est en effet qu’elle impose une gestion informatique qui peut devenir envahissante. Avec un ou deux logiciels de synthé et un séquenceur, c’est assez facilement gérable, mais dès que vous commencez à additionner les logiciels, il convient de faire attention aux versions diverses incompatibles entre elles, par exemple.
Personnellement, n’étant pas un geek de naissance, je préfère les vraies machines et un séquenceur logiciel qui évite la prise de tête ; Toutefois, la différence financière avec une formule tout software est indiscutablement conséquente.

Séquenceurs, synthés virtuels, arrangeurs, l’offre en « machines » software est extrêmement variée et multiple. Sur Windows, Apple, voire Linux, il y a de quoi faire son marché!
Pour finir
Vous avez pu remarquer que dans cet article dédié aux synthés numériques, on faisait souvent référence à l’analogique. Dans le monde de la musique moderne, en effet, le synthé analogique a connu son heure de gloire dans les années 60/70, puis s’est vu supplanté par le numérique acclamé par les musiciens du monde entier dans les années 80. En entrant dans le 21ème siècle, néanmoins, beaucoup se sont aperçu qu’on avait jeté le bébé avec l’eau du bain comme il arrive souvent. Le numérique présente bien des avantages, mais il est différent de l’analogique d’un point de vue sonore et il est ridicule de se priver d’une couleur sonore, si imparfaite soit elle. C’est d’ailleurs une des raisons de la longue vie des boîtes à rythme au son pourri dont je parlais plus haut et de certains synthés dont on moquait la pâle imitation de timbres acoustiques. Avec le temps, ces couleurs sonores ont pris une patine désuète qui ne manque pas de charme et on a compris que c’était parfois l’appellation de l’imitation elle-même qui était ridicule, et non le son. En s’affranchissant de la comparaison avec l’instrument qui a servi de modèle, on découvre parfois une qualité timbrale à part entière.
Précision chirurgicale, clarté et propreté sont tellement l’apanage du numérique que lorsqu’il s’est agi d’imiter le son analogique, on a du rajouter du gras, de la distorsion et salir les sons qui sortaient initialement des cartes mères. les ingénieurs de chez Roland, lorsqu’ils ont voulu imiter leurs boites à rythmes mythiques des années 70, se sont trouvés face à un problème paradoxal : il leur était impossible de retrouver les composants bas de gamme de l’époque !
Si le débat reste donc d’actualité entre analogique et numérique, il est toutefois plus constructif de profiter des deux mondes. Les constructeurs l »ont bien compris qui allient les qualités pratiques et sonore du numérique ( MIDI compris, bien entendu!) au son d »émulation de plus en plus précise du son analogique, voire directement d »implémentation de composants analogiques. Car débat ou non, l’analogique ne peut guère se targuer de la stabilité d’accordage et de l’interactivité incomparable du numérique.
Et c’est pourtant un amoureux des synthés analogiques qui vous parle !
* Certains synthés récents offrent à nouveau des connexions CV en plus d’une implémentation MIDI, de façon à faire bénéficier le musicien des capacités analogiques ET numériques de l’instrument.