L’AGE D’OR DES GUITARES ELECTRIQUES
Pour parler de la guitare électrique, il n’est pas inutile de remonter jusqu’au début du 20ème siècle! A cette époque, Orville Gibson construit des guitares acoustiques avec des tables d’harmonie bombées.
Jusque là, les guitares avaient la forme des guitares acoustiques classiques que nous connaissons aujourd’hui. Avec l’arrivée de ces nouvelles guitares à tables voûtées inspirées du violon, la rosace va ensuite disparaître au profit de F ou S, selon les appellations.
Dès les années 30, ces guitares acoustiques à tables voûtées vont passer à l’électricité en recevant un ou plusieurs micros entre ces ouïes, décidément bien pratiques. Petit à petit, chez Gibson, mais également chez les autres constructeurs qui se sont inspirés de ces caisses à tables voûtées avec des ouïes spécifiques, on se met alors à proposer des modèles en deux versions: acoustique ET électrique.
La première guitare électrique de série sort de chez Rickenbacker en 1931, mais c’est en fait une lap steel qu’on appelle depuis la « frying pan », la poële à frire. Deux ans après, la même société produit l’Electro Spanish qui, cette fois, est une vraie guitare à table bombée et qui porte le micro en fer à cheval déjà présent sur la poële à frire. On considère donc désormais que l’Electro spanish est la première guitare électrique de série.

La première guitare électrique est une lap steel: la Frying pan de Rickenbacher (avec un H!). Suivie ensuite de l »arch top Electro Spanish.
Pour autant, la guitare électrique dont le rôle essentiel est d’être audible au sein d’orchestres avec batterie et cuivres, devra attendre encore quelques années avant de devenir incontournable.
Dans un premier temps, il faut déjà maîtriser parfaitement cette nouvelle technologie de la guitare amplifiée en modernisant le micro et l’ampli guitare. Cela ira relativement vite, mais la deuxième guerre mondiale va imposer encore 5 ans d’hibernation aux fabricants de guitare.
Dans les années 50 enfin, Léo Fender crée l’Esquire a un micro, puis la Broadcaster à deux micros, rebaptisée ensuite Telecaster.
La naissance de la Telecaster est un tournant dans l’histoire de la guitare électrique à plus d’un titre. D’abord, parce que c’est la première solid body, mais aussi parce qu’elle arrive à un moment où les amplis de guitares sont performants. Fender lui-même en vend qui vont devenir des références .
Troisième point : la Telecaster, créée pourtant par un amateur de la musique country qui n’a jamais joué que du saxophone dans sa jeunesse, arrive à un moment où le rock’n roll va trouver en la guitare électrique, l’arme ultime pour exploser.
C’est le départ de l’âge d’or de cet instrument qui, dès les années 50, est parfaitement au point dans ses lignes essentielles.
Pour prouver la pertinence du terme « âge d’or », il suffit d’aller dans un magasin de musique actuel pour y trouver en effet bon nombre de modèles créés dans cette période des années 50/60. Evidemment, les Américains ayant été les pionniers de la guitare électrique, l’âge d’or concerne quasi exclusivement ce pays. Ce qui, revers de la médaille oblige, pose le problème du rajeunissement de catalogue de Fender, Gibson, Gretsch, et Rickenbacker, poussés par leur clientèle à indéfiniment faire du neuf avec du vieux, ce dernier ayant été joué et approuvé depuis plus de 60 ans maintenant !!
Voyons, pour illustrer nos propos quelques modèles majeurs de ces quatre grandes marques, toujours au catalogue en 2015.
Avertissement: les dates d’entrées sur le marché, données sur fond rouge sont exactes, et celles données dans l’article devraient l’être également. Toutefois, la fin en soit ici n’est pas historique mais plus modestement anecdotique. Il s’agit juste de montrer 17 instruments toujours en vente à l’heure actuelle alors que leur conception remonte à 60 ou 65 ans!
FENDER
Fender ayant toujours échoué à concurrencer Gibson sur le marché des hollow bodies ( à l’exception de certaines Telecaster), on se contentera de citer uniquement les solid bodies. Mais quelles solid bodies à succès !!!

De gauche à droite et de haut en bas: l »Esquire à un seul micro sort en 1950, suivie de la Broadcaster a deux micros. Rebaptisée no caster par les collectionneurs avant de s »appeler Telecaster en 1951.
TOUJOURS PRODUITE, SANS INTERRUPTION

La Strat est restée la même: en haut, une originale de 1955 et en bas, un réédition récente du custom shop, équivalente luxueuse de la Strat standard.
Toujours produite sans interruption

Malgré son nom, la Jazzmaster n’a jamais conquis le milieu du jazz. Par contre, elle a trouvé sa place dans le milieu du rock indé, notamment, et continue son bonhomme de chemin aujourd’hui.
Toujours produite à ce jour, malgré une interruption entre 1977 et la fin des années 90
Toujours produite. Interruption en 1975, réintroduite fin des années 90

En haut, une Precision de 1953, version basse de la Telecaster. Elle prendra plus tard les formes de la Stratocaster, comme ce modèle de 1968, en bas.
Toujours produite sans interruption
Toujours produite, sans interruption
GIBSON
Contrairement à Fender, Gibson a réussi sur les deux fronts : solid et hollow bodies. Mais on ne citera que les solid pour ne pas être trop long ! Quand à Fender, il ne perd pas 1 à 2 pour autant, marquant un but dans la cage des basses, là où Gibson n’a jamais pu s’imposer !

Les différents modèles Les Paul toujours produits à ce jour: la Gold Top, suivie de la Custom, puis de la célèbre Sunburst, et enfin des versions petit budget que sont la Junior (extrême droite, version deux pans coupés) et la Special (version TV, un seul pan coupé).
Toujours produites. Interruption de 1960 à 1968

Comme la Les Paul, la SG est déclinée en versions un ou deux micros, avec des simples P90 ou des humbuckers.
Toujours produite, sans interruption

Malgré un début de vie catastrophique, la Flying V, arrêtée un temps, a retrouvé un second souffle qu’elle n’a toujours pas perdu. la version moderne du bas montre une des nombreuses variations proposées aujourd’hui, en plus de rééditions du premier modèle.
Toujours produites. Interruption : fin 59, réintroduite en 1966

L’Explorer a suivi un chemin identique à la Flying V: très mauvais départ aboutissant à son abandon. Puis renaissance, quelques années plus tard, grâce à la mode des humbuckers et aux formes anguleuses.
Toujours produites. Interruption : fin 59, réintroduite en 1975

La Firebird rouge de Phil Manzanera de 1964. En dessous, une version actuelle. J’ai personnellement une Firebird dont le numéro de série indique sa sortie d’usine en 1980, ce qu’infirment les documents en ma possession. Les numéros de série ne sont donc pas toujours la panacée pour dater une guitare!
Toujours produite. Interruption : fin des années 60. Deux rééditions en 1972 et 1976 et réédition à partir des années 1990, mais sans autres précisions de ma part!
Thunderbird : produite de 1963 à 1969 . Deuxième essai entre 1976 à 1979 . Depuis 1987, enfin, la basse de Gibson est revenue au catalogue. Ces apparitions périodiques montrent les difficultés chroniques que Gibson rencontre face à l’hégémonie des basses Fender.
GRETSCH
Aujourd’hui, Gretsch fournit pratiquement tous les modèles historiques de son catalogue des années 50/60. La série à petit budget Electromatic est fabriquée en Asie, les autres modèles étant fabriqués au Japon ou aux Etats Unis, notamment pour les modèles custom shop. Il existe de nouveaux modèles (signatures ou non), mais on trouve essentiellement des variations sur des modèles qui ont été créés il y a plus de 60 ans, à l’instar des trois autres fabricants américains cités ici.
Le terme Duo-Jet regroupe ici les Red-Jet, Sparkle-Jet avec simple ou double échancrures, mais les modèles Chet Atkins solid body et autres Round Up sont très similaires au niveau de la construction. Même les White Penguin (comprenant les nouvelles White qui ne sont plus white, mais pink, blue, j’en passe et des meilleures!) sont assez proches. Le terme de Duo-Jet est donc un terme générique un peu fourre tout.
L’histoire de la compagnie Gretsch connaît quelques incidents de parcours dont le plus notable est l’arrêt de l’usine en 1981. En 1989, Fred Gretsch III qui a racheté le nom quatre ans plus tôt, relance la fabrication au Japon, puis quelques modèles voient le jour aux USA jusqu’en 2002 où la marque entre dans le giron de Fender . La production, alors, se partage entre l’Asie, le Japon et les USA, comme il est dit plus haut.
Duo Jet : produite de 1953 à 1971. Réintroduite dans les années 90 jusqu’à ce jour.
De même qu’il existe de nombreux modèles parents de la Duo Jet, la 6120 ressemble peu ou prou à d’autres modèles. En fait, les guitares Gretsch sont parfois difficile à différencier, et c’est souvent leur couleur qui aide à l’identification au premier coup d’oeil. La signature sonore des Gretsch, en revanche, est assez marquée en revanche, quelque soient les modèles. Nous parlons toujours, bien sûr, de la période 50/60 qui nous intéresse. Les dates données ici pour la 6120, valent donc à quelques années près, pour d’autres modèles hollow bodies de la marque.

Une 6120 américaine de 1956 en haut. En bas, un modèle Nashville Westerner japonais de 1994 qui est une des variantes actuelles de la 6120.
6120 : la production va de 1954 à 1980, peu avant l’abandon de la marque par Baldwin qui en était propriétaire depuis 1967. Puis, elle est fabriquée au Japon, dès le début des années 90.
RICKENBACKER
L’histoire de Rickenbacker est d’autant plus difficile à appréhender que les noms de modèles sont des numéros. La gamme a toujours été assez riche et comporte des ressemblances esthétiques qui brouillent assez vite l’esprit du non averti que je suis! On note cependant certaines grandes familles d’instruments qui marquent une époque ou un segment précis. Ainsi en est-il des corps en forme de tulipe des débuts, des modèles avec une corne supérieur en forme de vague («crestwave») ou la série «Capri» à corps creux et chanfrein dit « à l’allemande », qu’imposa Roger Rossmeisl.

Trois types de Rickenbacker marquants: le type « tulipe », le type « vague déferlante » qui fait référence à la corne supérieure et un modèle dit « capri » dessiné par l’Allemand Rossmeisl.
Notre sujet étant ici de prouver que les guitares électriques des années 50 et 60 sont encore étonnamment présentes sur le marché actuel, nous nous contenterons de ce résumé succinct et vague, et nous pencherons uniquement sur trois modèles phares.
330 : toujours produite
360 : toujours produite
Les basses de Rickenbacker font partie de la série 4000. Aujourd’hui, la marque propose des 4003 et 4004, mais il y a eu aussi des 4005 et 4008. Mis à part la 4005, les séries 4000 sont très proches, esthétiquement du moins, dans le style « crescent wave ».Les plus populaires et les plus courantes sont les 4000, fabriquées de 1957 à 1987, les 4001 qui vont de 1961 à 1986 et les 4003, nées en 1973 et toujours au catalogue actuellement.

De gauche à droite, une 4000, une 4001, une 4002 et une 4003. Faut être observateur pour les différencier!
Toujours produite, mais s’appelle désormais la 4003.
Epilogue :
Si les guitares citées ici sont toutes américaines, le marché actuel, bien sûr, n’est pas limité à cela. Les marques Japonaises sont extrêmement présentes ainsi que de nouvelles marques américaines et européennes. Cependant, les canons de la guitare électrique viennent de ces modèles à la longévité étonnante, et des copies pures et dures officielles ou non, ainsi qu’une multitude de modèles dérivés s’inspirent de ces « classiques ».
Prétendre pour autant que la guitare électrique ne continue pas à évoluer serait faux. Les concepteurs cherchent toujours à améliorer l’instrument, tant à l’échelle industrielle qu’artisanale. Que ce soit avec des matériaux alternatifs, que ce soit pour améliorer la qualité sonore ou le prix de revient, ou que ce soit même pour ouvrir la guitare au monde informatique, les champs d’investigation restent ouverts. La bird and fish d’Ulrich Teuffel, la Princess Isabella de Ritter ou même la Fly de Parker, née déjà au début des années 90 sont trois exemples parmi d’autres, qui prouvent que la modernité est bien présente dans ce petit monde.

Ce qui ressemble à une mitraillette dans son étui est la guitare « bird and fish » d’Ulrich Teuffel. A droite, une Parker Fly qui montre le design de son dos particulier. A l’extrême droite, une interprétation moderne d’hollow body de Jens Ritter, un luthier allemand, comme Teuffel.
Il n’empêche, pour l’instant, force est de constater que les grands-mères tiennent toujours bon, prouvant la pertinence du vieil adage : c’est dans les vieilles soupes qu’on fait les meilleurs pots. Et réciproquement.